Présentatrice : Vous écoutez le balado Le point sur les marchés de la Banque Scotia. La série de balados Le point sur les marchés fait partie de la série Capital de connaissances. Elle vise à vous présenter les perspectives des leaders et experts des Services bancaires et marchés mondiaux de la Banque Scotia.
Rodrigo Echagaray : Bonjour, je suis Rodrigo Echagaray, chef, Recherche sur le marché des actions – Amérique latine et chef, Gestion de produits mondiale. L’immigration galopante au Canada aura des répercussions considérables sur notre économie. Dans cet épisode du balado Le point sur les marchés, un groupe d'experts de la Banque Scotia se joint à moi pour parler de l'importance de l'immigration pour l'économie canadienne, de la viabilité de la croissance de l'immigration et de son impact sur des secteurs clés.
Nous allons discuter avec Rebekah Young, vice-présidente et cheffe, Inclusion et résilience économiques. Bienvenue, Rebekah.
Rebekah Young : Merci de m’avoir invitée.
RE : Meny Grauman, analyste, Services financiers canadiens. Bienvenue, Meny.
Meny Grauman : Je suis ravi d’être ici.
RE : Maher Yaghi, analyste, Télécommunications, médias et câblodistribution. Bienvenue, Maher.
Maher Yaghi : Merci.
RE : Et George Doumet, analyste, Biens de consommation. Bienvenue, George.
George Doumet : Bonjour, Rodrigo. Merci de m’avoir invité.
RE : Le Canada a accueilli 1,25 million d'immigrants en 2023, ce qui a fait la une des journaux du monde entier. Cet afflux de nouveaux arrivants a eu une incidence importante sur l’économie, mais la tendance ne semble pas durable. La croissance démographique devrait constituer un avantage concurrentiel et devrait contribuer à la croissance à long terme d’un pays.
Pour concrétiser cet objectif, toutefois, des politiques d'immigration viables sont indispensables.
Le système canadien n’était pas prêt. Pourquoi le nombre d’immigrants a-t-il été surprenant, compte tenu des objectifs fixés? Rebekah, pourriez-vous nous donner du contexte?
RY : Bien sûr. Comme vous le dites, les décideurs politiques ont vraiment été pris de court et, si l’on se souvient d’il y a un an à peine, le Canada avait établi des objectifs considérés comme très ambitieux pour son programme d’immigration. On parlait alors d’accroître la population d’un demi-million de personnes d’ici 2025. Cependant, comme vous l’avez mentionné, à la fin de l’année passée, nous avions déjà atteint le cap des 1 250 000 nouveaux arrivants.
Cette croissance démographique a donc été deux fois et demie supérieure à l'objectif fixé par les décideurs. En fait, c’est l’explosion du nombre de travailleurs temporaires qui a porté cette hausse. Les responsables des orientations politiques ont été pris au dépourvu, non seulement parce qu'ils n'avaient pas d'objectif concernant ce programme temporaire, mais aussi parce qu'un certain nombre de facteurs économiques masquaient ce qui se passait réellement. Dans la foulée de la réouverture des frontières, l’économie a absorbé beaucoup de ces travailleurs. Mais en fin de compte, ce que nous avons constaté dans l’économie nationale, c’est qu’il y avait plus de travailleurs qui travaillaient plus, et davantage de consommateurs qui consommaient davantage. Cependant, la consommation individuelle par travailleur a diminué, de même que la production par travailleur, ce qui n’est pas viable économiquement à long terme. Plus important encore, nous avons constaté des goulots d’étranglement dans la vie de tous les jours. Il ne s’agissait pas seulement de concepts économiques reflétés dans des données publiées chaque mois, mais d’indicateurs concrets comme les coûts liés au logement, le coût du loyer, le temps d'attente aux urgences ou les listes d'attente pour l’accès à un médecin de famille. Toutes ces infrastructures sociales et physiques dont nous dépendons au quotidien sont aux prises avec un engorgement colossal.
Ainsi, lorsque nous examinons toutes ces tendances et le chemin parcouru au cours des deux dernières années de croissance démographique fulgurante, nous constatons que les gouvernements ont pris un certain nombre de mesures visant à freiner considérablement cet accroissement de la population, mais nous pensons qu'ils doivent non seulement s'efforcer de réduire le nombre de nouveaux arrivants, mais aussi placer la barre plus haut si nous voulons améliorer le bien-être des Canadiens à long terme.
MG : Ce rehaussement des critères a une incidence importante sur les banques que j’analyse. En effet, la réduction du nombre d’immigrants rendrait plus difficile l’atteinte des cibles d’acquisition de clients de toutes les banques. Par contre, si la composition de la clientèle de nouveaux arrivants change et comporte davantage d’immigrants plus aisés, l'impact net pourrait en fait être positif.
Il s'agit donc d'une dynamique intéressante. Essentiellement, la situation économique des immigrants, et non seulement leur nombre, fait une réelle différence.
RE : Merci, Meny. C'est un excellent point. Nous vous demanderons de nous parler des conséquences plus générales sur le secteur financier dans quelques minutes.
Parlons d’abord du concept d’un niveau d’immigration viable. Comment trouver la bonne cible, et pourquoi est-ce si important?
RY : Très bonne question. Tout d’abord, nous devons abandonner l’idée que le simple fait d’accroître notre population va améliorer ou aggraver la situation des Canadiens.
Je vais vous donner un exemple très concret. Prenons deux pays : la Suisse et la Sierra Leone. Il s'agit de deux pays dont la population est à peu près la même. Il est évident qu'il existe de très grandes différences en termes de bien-être entre ces deux nations. La population à elle seule ne suffit donc pas à déterminer le bon fonctionnement des systèmes d'un pays et le niveau de vie dont bénéficie sa population.
Le facteur primordial est le rythme de l’accroissement démographique, parce que pour que la croissance démographique soit un atout pour une économie, il faut avant tout des investissements complémentaires et des moyens de fournir les outils dont ces travailleurs ont besoin.
Pour sa part, le Canada n'a pas de bons antécédents en matière d'investissement des entreprises dans ce type de ressources, qu'il s'agisse de machines et d'équipements physiques ou de propriété intellectuelle. Les fonds consacrés par les entreprises à ces fins sont pitoyables. Par conséquent, même avant ce choc démographique, nous ne disposions pas du matériel ou du capital requis pour permettre aux travailleurs de produire davantage.
Ainsi, la productivité par travailleur supplémentaire a diminué parce que le capital engagé et les investissements des entreprises ne reflètent pas l’augmentation de l’immigration. Nous devons donc déterminer le rythme de croissance démographique qui permettra aux entreprises de comprendre que la main-d'œuvre bon marché n’est qu’une illusion, et qu’elles doivent commencer à investir dans le capital non humain.
Il faut investir dans la formation et dans les outils mis à la disposition de ces travailleurs. Je pense donc qu'à long terme, il faut réfléchir au rythme auquel nous pouvons absorber une augmentation de la population et aux ressources que nous pouvons déployer pour rendre chaque travailleur plus productif.
Je crois qu’au cours des deux dernières années, essentiellement, le Canada, l’économie canadienne et les décideurs politiques du pays ont échoué au test de la guimauve.
RE : C'est un concept intéressant, Rebekah, mais au cas où certains de nos auditeurs ne soient pas familiers avec cette épreuve, en quoi consiste le test de la guimauve?
RY : Le test de la guimauve est une vieille épreuve psychologique qui était menée auprès d’enfants. En gros, des enfants étaient placés dans une pièce sans adultes avec une guimauve sur une table devant eux, et on leur disait « Ne la mange pas. À notre retour, si tu ne l’as pas encore mangée, nous t’en donnerons deux. » Les chercheurs ont pu déterminer que les enfants qui pouvaient se retenir de manger la guimauve jusqu’à ce que l’adulte revienne dans la salle étaient plus susceptibles d’avoir une vie prospère plus tard. Bien sûr, beaucoup de réserves ont été formulées à propos de ce test depuis sa création, et les conditions dans lesquelles il est administré ont aussi une grande influence.
Toutefois, si l’on tient compte de ce principe en étudiant l’économie canadienne, nous constatons que nous nous sommes concentrés sur les gains à court terme, sur la satisfaction ou la gratification à court terme que nous procure une main-d'œuvre immédiate et bon marché, sans vraiment nous préoccuper des besoins à plus long terme. Ainsi, pour donner un exemple, nous cherchons à faire venir des travailleurs temporaires dans des secteurs où il y a actuellement des postes vacants, mais nous ne cherchons pas nécessairement à savoir quels sont les secteurs qui vont vraiment générer des gains demain.
Je dirais qu'une autre composante de cet échec au test de la guimauve est l'examen global des ménages et des gouvernements, et de leur investissement relatif dans la consommation par rapport à l'investissement. En termes économiques, si nous investissons dans quelque chose, il faut nécessairement prélever les sommes sur de l'épargne accumulée ailleurs.
Mais si nous consommons beaucoup au niveau des ménages, ainsi qu'au niveau des gouvernements – nous avons certainement vu des dépenses prolifiques au niveau des gouvernements – cela diminue le volume d'épargne, du moins à l'intérieur de nos frontières nationales. Nous devons donc vraiment réfléchir à ce test de la guimauve, prendre cette leçon à cœur et nous demander où nous allons trouver ces économies en vue d'investir dans ces domaines de croissance qui améliorent la productivité à plus long terme.
RE : Il est important de prendre en compte le risque lié à l’exécution à court et à long terme. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, Rebekah?
RY : Au cours des derniers mois, le gouvernement fédéral a annoncé une série de mesures visant à tenter de reprendre le contrôle de la croissance démographique que nous avons observée.
Ainsi, à l'automne dernier, il y a eu une réduction des visas pour les étudiants internationaux, ce qui entraînera un gel de l’émission de visas au niveau le plus bas. Récemment, des mesures ont aussi été prises pour réduire le nombre de résidents non permanents au pays et pour ralentir la délivrance de nouveaux visas en particulier en ajoutant des couches supplémentaires de bureaucratie ou en renforçant les exigences en matière de preuve de besoin dans le cadre du programme temporaire.
De nombreuses mesures ont donc été annoncées. Certaines d'entre elles sont moins détaillées que d'autres et certaines nécessiteront une consultation des responsables du palier fédéral avec leurs homologues provinciaux. J’anticipe donc tout un éventail de domaines où il existe un risque lié à l’exécution, d'abord et avant tout parce qu'il y a une forte demande à l'heure actuelle et qu’une grande partie de la main-d'œuvre est constituée de travailleurs temporaires.
Pour beaucoup d'intérêts particuliers, ces mesures représenteront un choc brutal et soudain en ce qui concerne leurs sources d'approvisionnement en main-d'œuvre jusqu’à présent. Il y a donc un risque : les gouvernements arriveront-ils à atteindre les chiffres qu'ils souhaitent et à faire baisser l’immigration dans les délais escomptés, compte tenu de ces intervenants?
Je crois que la deuxième partie de ce risque lié à l’exécution et à la coordination porte sur les négociations entre les paliers gouvernementaux fédéral et provinciaux, comme nous l'avons constaté dans une vaste gamme de domaines politiques.
Il est donc probable qu'au cours des prochains mois, les provinces et le gouvernement fédéral détermineront exactement comment ils vont réduire le nombre de travailleurs étrangers temporaires. Les autorités fédérales ont clairement indiqué que l’objectif relatif aux résidents non permanents ne sera fixé que dans le cadre de l'exercice annuel de fixation des cibles, qui aura lieu à la fin de l'automne.
Il faut donc s'attendre à ce que ce chiffre soit dévoilé vers le mois de décembre de cette année. Entre-temps, au cours du premier trimestre l’année civile en cours, nous avons vu la croissance démographique exploser. C'est à ce niveau que se situe le risque d'exécution : d'une part, la population continue d’augmenter et les objectifs sont clairs en ce qui concerne les mesures politiques proposées, mais il y a un risque important et des retards sont à prévoir quant au moment où elles seront réellement concrétisées.
Par ailleurs, des élections seront très probablement déclenchées au Canada l’an prochain, ce qui aggrave encore le risque politique lié à l'évolution de la population d’ici la fin de cette année, la fin de l'année prochaine, et ainsi de suite.
RE : Rebekah, comment pouvons-nous déterminer dans quelle mesure la pression exercée sur le PIB par habitant est imputable à l’immigration? Cette pression pourrait-elle provenir d'autres sources?
RY : C'est une bonne question. La productivité est essentiellement le degré d'efficacité ou d'innovation avec lequel nous utilisons nos intrants, à savoir les personnes et les outils. Avec du recul, nous savons combien de travailleurs nous comptions et combien d'outils, de machines et d’autres ressources étaient mis à profit dans le système.
Nous pouvons aussi constater a posteriori la productivité associée à notre PIB. Ce calcul est relativement simple. Je tiens à remercier mon brillant collègue, René Lalonde, qui a conçu un excellent modèle de l'économie canadienne. Il est ainsi en mesure de déterminer les impacts, vous savez, ce qui a conduit à cette érosion de l'investissement des entreprises pendant cette période et, par conséquent, à une érosion du stock de capital.
Il peut aussi dégager, par exemple, les effets de la hausse des taux d'intérêt au cours des deux dernières années et tous les autres facteurs économiques traditionnels susceptibles d'avoir une incidence sur cet élément. En éliminant l’impact de ces autres facteurs, il a pu déterminer qu'environ les deux tiers de la baisse de productivité constatée résultaient de cette croissance démographique fulgurante.
Il sera nettement plus difficile de prédire comment les choses pourraient évoluer. Avec du recul, il est relativement facile (entre guillemets) de dresser un portrait de la situation mais, pour la suite, nous devrons tenter de cerner ce qui se passera concernant les taux d'intérêt. Quelle sera la fluctuation de la demande en fonction de la trajectoire des taux d'intérêt? Quelle sera l’incidence de l'incertitude à la lumière d'une série d'élections non seulement au Canada, mais surtout aux États-Unis? Outre la croissance de la population, toute une gamme de facteurs aura un impact sur la façon dont les entreprises investissent.
Cela illustre bien la réalité que la croissance démographique n'est ni le moteur, ni la cause, ni la cause sous-jacente de la productivité. Par conséquent, le Canada doit se doter d'un programme de croissance résolument axé sur l'amélioration de la productivité. La politique en matière d'immigration est donc importante. L’immigration peut influencer la productivité à la hausse ou à la baisse de façon accessoire, mais elle ne peut pas résoudre le problème principal qui s’est développé au Canada depuis des décennies.
En fin de compte, il ne s'agit pas de travailler plus ou plus dur. Il s'agit de travailler plus intelligemment, tout en étant mieux équipés.
RE : C’est fascinant, Rebekah. C’est une perspective intéressante qui nous aide à comprendre pourquoi l'immigration est un enjeu aussi important pour l'économie canadienne. Et il semble judicieux de se préparer à un ralentissement de la croissance de l'immigration.
Passons maintenant à certains secteurs qui sont touchés par ces discussions concernant les politiques. Commençons par vous, George.
GD : D’accord, merci, Rodrigo.
En ce qui concerne notre discussion actuelle, les secteurs qui seront les plus clairement concernés par ces politiques sont ceux des épiceries et des magasins à un dollar. Leur chiffre d’affaires sera directement touché, donc l’achalandage et l'accès à la main-d'œuvre sont deux aspects très importants.
Le secteur des épiceries est mature et concurrentiel. Il s'appuie incontestablement sur l’accroissement démographique comme moteur à long terme. Ce secteur enregistre généralement une hausse des ventes en magasins comparables de l'ordre de 2 à 3 % par an et une croissance de la surface de vente légèrement inférieure à 1 %, et nous avons récemment constaté une très grande augmentation de la surface de vente des magasins ethniques comme T&T et Adonis.
En 2023, la croissance de la population d'environ 3 % a nettement aidé à compenser la baisse de la consommation d'aliments et de boissons par habitant au Canada imputable à l’inflation grimpante. On peut donc imaginer que la réduction de la croissance démographique de 3 % à 1 %, c’est-à-dire des niveaux similaires à ceux d'avant la pandémie, pourrait avoir un impact très important sur le secteur.
Nous observons les mêmes tendances dans les magasins à un dollar. Au cours des dernières années, nous avons enregistré de très fortes tendances en matière de fréquentation des magasins à un dollar. Une croissance à deux chiffres de l’achalandage s'ajoute donc à une croissance à deux chiffres de l’achalandage. Bien que l’augmentation de la population ait aidé, en particulier au chapitre des résidents non permanents, d'autres facteurs ont augmenté la fréquentation de ces commerces.
Il s'agit par-dessus tout de la transition vers les chaînes de magasins à prix réduits, en particulier dans le domaine de l'alimentation et des biens de consommation, et de la pénétration accrue du marché par les magasins à un dollar, y compris auprès des consommateurs à revenus élevés. Enfin, il faut également mentionner l'accès à la main-d'œuvre. Le secteur du commerce de détail est l'un des principaux employeurs des nouveaux immigrants au Canada. Si l'on étudie la situation des résidents non permanents, un nombre disproportionné d'entre eux travaillent dans le commerce de détail, la restauration et le secteur de l'hébergement.
La réduction de l'accès à cette main-d’œuvre aura donc des répercussions évidentes. La hausse inflationniste des salaires sera probablement plus importante. Et si l'on considère l'inflation salariale en général, un des niveaux d'inflation les plus élevés a été enregistré dans le secteur de l'alimentation et des boissons, où il a fortement dépassé l’indice des prix à la consommation (IPC).
RE : Merci, George. Passons maintenant aux entreprises de technologie, médias et télécommunications (TMT), un autre secteur dont l’expansion s’appuie sur la croissance démographique. Maher, pouvez-vous nous donner des détails sur ce qui s’est passé concrètement?
MY : En ce qui concerne les télécommunications, l'immigration a été un moteur de croissance important et essentiel pour le secteur, en particulier dans le domaine du sans-fil, où la croissance du nombre d'abonnés aux services sans-fil a considérablement dépassé les tendances historiques au Canada au cours des deux dernières années.
Il est donc important de tenir compte de ce qu'un retour à un accroissement démographique plus faible pourrait signifier pour le secteur des télécommunications au Canada. Nous estimons que, par le passé, l’augmentation de la population au Canada a entraîné une hausse d’environ 1,5 % du nombre d'abonnés dans l'ensemble du secteur. Mais récemment, avec la poussée de l'immigration, ce chiffre a doublé.
En gros, l’augmentation du nombre d'abonnés a doublé au cours des deux dernières années par rapport à la norme historique, ce qui a soutenu la croissance du chiffre d'affaires d'entreprises comme Rogers et BCE au Canada, entre autres. Lorsque nous pensons à l'avenir et à la possibilité que l’accroissement démographique revienne à la normale, nous devons réfléchir au nombre d'abonnés en moins que ces sociétés vont ajouter chaque année. Nous avons étudié cette question et nous estimons que, si nous revenons à un modèle de croissance historique normal, le taux de croissance du résultat net ou du bénéfice de ces entreprises va diminuer d'environ 0,5 % par an. Ce chiffre s'additionne chaque année, alors si nous revenons à la norme historique pendant trois ans, c'est environ 1,5 % de croissance perdue pour ces entreprises. C'est considérable, et c'est un moteur très important pour le rendement des actions. Les investisseurs doivent tenir compte de ce facteur lorsqu'ils réfléchissent à l'avenir de l'industrie des télécommunications au Canada.
RE : Meny, les avantages et les risques liés aux fluctuations des niveaux d'immigration sont-ils aussi clairs dans le secteur des services financiers?
MG : Comme vous pouvez l'imaginer, comme c’est le cas pour la plupart des choses dans le secteur bancaire, tout cela peut vraiment devenir compliqué. Selon moi, l'immigration a un impact sur les banques de trois manières importantes. La première concerne la macroéconomie dans son ensemble. La deuxième touche le marché de l’habitation et la troisième, l'acquisition de clients dont j'ai parlé précédemment.
Pour entrer dans le détail de ces trois aspects, au chapitre de la croissance économique, il est évident que l'immigration vient renforcer la population, ce qui augmente le PIB nominal, et c'est une bonne chose. Toutefois, comme nous le savons, le PIB par habitant au Canada est en train de glisser. La Banque du Canada nous a mis en garde contre la crise de la productivité, rien de moins. De ce point de vue, les choses se compliquent. En ce qui concerne le logement, là encore, il existe une relation nuancée entre les banques et l'immigration.
Un plus grand nombre d'immigrants signifie une plus grande demande de logements mais, bien sûr, il est important d'avoir un marché de l’habitation équilibré. Nous connaissons tous le déséquilibre important entre l'offre et la demande sur le marché du logement canadien. Il est important de souligner que l'immigration n'est pas à l'origine de ce déséquilibre. Même si l'immigration était réduite à zéro, l'offre resterait très insuffisante sur le marché de l’habitation canadien. Néanmoins, ce phénomène s’ajoute à un marché déséquilibré, ce qui crée des tensions. L'accessibilité financière est un problème incontestable qui pourrait devenir insoutenable.
Du côté de l'acquisition de clients, comme vous pouvez l'imaginer, dans un marché bancaire aussi bien développé que le Canada, les gens ont déjà des relations bancaires pour tous leurs besoins. Il est très difficile pour une banque de prendre des parts de marché à une autre banque. Cela ne les empêche pas d'essayer, mais c'est vraiment très difficile. Cependant, lorsque des immigrants s’établissent au pays, la plupart d'entre eux, soit probablement 99 pour cent, n'ont pas de relation existante avec une banque canadienne, ce qui est donc très, très attrayant pour les banques canadiennes. Ces dernières ont toutes des objectifs d'acquisition de clientèle qui dépendent à bien des égards de l'arrivée d'immigrants au pays. À titre d’exemple, les plus grandes banques du Canada, soit la Banque Royale et TD, ont conclu des accords de recommandation avec des banques indiennes, et elles ont discuté de cet enjeu en profondeur. Ce que vous voyez ici est donc un exemple de l'importance des immigrants en tant que bassin pour l'acquisition de nouveaux clients. Cependant, comme nous l'avons déjà mentionné, ce n'est pas seulement le nombre de nouveaux immigrants qui est important. La qualité et la composition de cette clientèle potentielle et l’affluence des nouveaux arrivants sont les facteurs prédominants.
Bref, pour les banques canadiennes, l'importance de l'immigration ne se limite pas aux chiffres. Il faut également tenir compte de la viabilité de cette immigration et, en réalité, de la richesse globale de ces nouveaux immigrants.
MY : Meny, et cela s'applique également aux télécommunications. Lorsque vous songez à la manière dont les entreprises gagnent des parts de marché, il est très coûteux d'aller chercher un abonné chez un concurrent et d’en faire son client. C'est pourquoi beaucoup d'entreprises au Canada ont misé sur l'immigration pour réduire le coût d'acquisition de nouveaux clients. Nous avons vu tous ces kiosques dans les aéroports. Vous les avez probablement vus dès votre arrivée au Canada. La première chose que vous voyez, c'est un kiosque d'une entreprise de télécommunications qui essaie d'attirer ce client.
Ainsi, lorsque nous réfléchissons au potentiel de croissance à long terme des télécommunications, en plus d'une baisse potentielle des prévisions de croissance du nombre de nouveaux abonnés, le coût d'acquisition pourrait également être à la hausse.
RE : Cette conversation a été passionnante. Rebekah, j'aimerais terminer par quelques réflexions sur les solutions possibles. Quelles sont les possibilités d'amélioration que vous entrevoyez?
RY : Un très bon début consisterait avant tout à considérer l'immigration comme un atout majeur pour le niveau de vie et le bien-être des Canadiens au fil du temps. Il s'agirait de mettre au premier plan les priorités économiques dans le cadre du processus d'immigration économique. Je mets toutefois un bémol, car il existe d'autres facteurs sociaux et moraux pour les autres parcours d'immigration.
Cependant, si nous considérons d'abord l'immigration économique comme un atout essentiel pour la compétitivité globale du Canada, la formulation de cet objectif en soi est un début. Et très franchement, nous avons des cibles économiques ambitieuses. Mais les chiffres réels sont nettement moins impressionnants lorsque nous examinons les données sur les nouveaux arrivants.
Nous disposons d'un excellent outil pour prédire le potentiel des nouveaux arrivants et des résidents permanents. Il prend en compte des éléments comme leur éducation, leurs compétences linguistiques et leur expérience professionnelle afin de déterminer quels seront leurs résultats économiques probables à l'avenir. Nous devons mieux utiliser ce système de notation pour déterminer quels candidats ont le plus de chances de réussir au Canada. Nous devrions donc l'utiliser davantage, ce qui n'est pas franchement le cas.
Nous devrions également envisager de placer la barre plus haut pour les entreprises. Nous devrions fixer un seuil équivalent pour que les entreprises qui investissent dans leur personnel et dans leurs outils considèrent l’immigration comme une source d'augmentation de la main-d'œuvre, comme un incitatif pour ces investissements, plutôt que comme une source de personnel bon marché. Il s'agit donc réellement de hausser la barre dans ce cas. Et je pense qu'en fin de compte, nous devons aussi nous concentrer sur l'investissement, non seulement dans la sélection des personnes présentant un fort potentiel, mais aussi dans la concrétisation de leur potentiel une fois qu'elles sont ici au Canada.
RE : Je tiens à tous vous remercier de vous être joints à nous pour cette importante conversation sur l'immigration canadienne et sur les défis et les occasions qui nous attendent.
Présentatrice : Merci d’avoir écouté le balado Le point sur les marchés de la Banque Scotia. N’oubliez pas de suivre l’émission sur votre plateforme de balado préférée. Vous pouvez aussi consulter notre site Web https://www.gbm.scotiabank.com/fr.html pour d’autres émissions riches en réflexions.