Présentatrice : Vous écoutez le balado Le point sur les marchés de la Banque Scotia. La série de balados Le point sur les marchés fait partie de la série Capital de connaissances. Elle vise à vous présenter les perspectives des leaders et experts des Services bancaires et marchés mondiaux de la Banque Scotia.
Patrick Dabiet (P. D.) : Bonjour, ici Patrick Dabiet, directeur général et co-chef, Marchés des capitaux d’emprunt, Canada. Dans cet épisode du balado Le point sur les marchés, je m’entretiens avec Fadi Attia, directeur général et chef, Syndication des prêts, États-Unis. Nous aborderons l’évolution des marchés des capitaux d’emprunt depuis le début de 2024 et ce qui nous attend sur les marchés du crédit à l’aube des élections américaines.
Fadi Attia (F. A.) : J’ai toujours beaucoup de plaisir à échanger avec vous sur l’évolution des marchés. Nous avons assurément assisté à des tendances intéressantes et à des revirements inattendus.
P. D. : Nous pourrions d’abord récapituler un peu la première moitié de l’année. Qu’en pensez-vous?
F. A. : Allons-y. Comment qualifieriez-vous les marchés des capitaux d’emprunt au Canada?
Vous ont-ils surpris?
P. D. : Le premier semestre a été très mouvementé au Canada, Fadi, du côté de l’émission. Les titres émis ont fracassé un nouveau record, totalisant 85 milliards de dollars, un chiffre grandement supérieur à nos prévisions et à celles du marché. À mon avis, il y a plusieurs points dignes de mention. Tout d’abord, les banques canadiennes, habituellement de grands moteurs de l’activité d’émission sur notre marché, ont été plus discrètes que nous l’aurions cru, tandis que les sociétés emprunteuses sont entrées sur le marché de façon plutôt généralisée et importante.
Un autre point intéressant est la forte présence d’emprunteurs du marché des «obligations feuille d’érable», c’est-à-dire des obligations émises par des emprunteurs étrangers sur le marché canadien. Leur offre a totalisé 8 milliards de dollars, ce qui représente habituellement le montant pour toute une année. Selon moi, les investisseurs ont assez bien digéré la situation.
Cela étant dit, le marché a tout de même semblé un peu saturé par moment. Somme toute, j’estime que le second semestre de l’année s’annonce de bon augure. Qu’en est-il de votre côté, Fadi? Comment s’est déroulé le premier semestre de l’année sur les marchés américains de qualité investissement?
F. A. : Patrick, je dirais que la première moitié de 2024 a été assez exceptionnelle; l’émission n’a pas chômé. Les titres émis ont atteint un record, soit 900 milliards de dollars. Nous avons connu le premier semestre le plus faste des dernières années, à l’exception de 2020. Permettez-moi de souligner que les nouvelles émissions ont dépassé le cap des 100 milliards de dollars chaque mois en 2024 et que janvier et février ont été des mois records d’émission par rapport au volume historique.
Toute cette activité est grandement attribuable au fort optimisme qui règne sur le marché, surtout depuis le virage de la Réserve fédérale américaine (Fed) à sa réunion en décembre 2023. Malgré la quantité astronomique de titres émis qui se sont taillé une place sur le marché, les écarts de crédit se sont quand même maintenus.
Cependant, les écarts ont été moins grands pendant tout le premier semestre. Naturellement, les émetteurs ont profité de ces conditions de financement favorables. Nous avons vu les émetteurs miser sur la variété des échéances pour obtenir un volume de financement important, et nous les avons vus récupérer efficacement des écarts faibles pour une gamme d’échéances différentes.
Malgré tout, la volatilité macroéconomique s’est pointé le bout du nez au premier semestre, mais elle n’a pas vraiment eu d’incidence sur l’activité. Elle a pratiquement eu l’effet contraire, renforçant la résilience et soulignant la solidité du marché de qualité investissement.
Patrick, comment expliquez-vous l’activité supérieure aux prévisions et l’émission record? Quels en ont été les catalyseurs à votre avis?
P. D. : Permettez-moi d’abord de m’avancer sur les raisons de cette offre plus importante que prévu. J’attribue la situation à trois facteurs principaux, dont deux attendus. Tout d’abord, la renaissance de secteurs qui étaient en quelque sorte au ralenti depuis la hausse des taux d’intérêt, qui leur avait fait mal. Certains secteurs, comme le marché des titres à rendement élevé sur lequel il n’y a eu aucune nouvelle émission l’an dernier, ont recommencé à générer un volume important et généralisé au premier semestre.
Ensuite, le deuxième facteur que nous avions anticipé était le moment des émissions. Nous savions que les emprunteurs chercheraient le plus possible à agir avant le second semestre pour éviter toute la volatilité qui risque d’accompagner les élections américaines. Plusieurs sociétés ont donc devancé leur émission.
Je pense que le troisième facteur, que nous avons moins vu venir, a été l’occasion qu’ont eue les emprunteurs de profiter de taux d’intérêt plus intéressants sur les dépôts. En gros, après l’émission, ils avaient la possibilité de déposer le produit obtenu à des taux équivalents ou même supérieurs à ceux qu’ils payaient pour l’emprunter. Plusieurs emprunteurs ont donc profité de cette motivation supplémentaire intéressante, comme nous l’avons constaté au premier semestre de l’année.
Selon vous, quels sont les principaux facteurs à l’origine de cette offre aux États-Unis?
F. A. : À mon avis, la forte activité est attribuable à une combinaison de facteurs, dont la plupart découlaient du message qu’a envoyé la Fed au marché. Comme vous vous en souvenez, en décembre 2023, la Fed s’est montrée très claire quant à sa volonté de commencer à envisager un assouplissement des taux en 2024.
Le marché a interprété ce message comme le feu vert attendu depuis longtemps et a prédit une réduction de 175 points de base. Rétrospectivement, j’avoue que c’était un chiffre ambitieux. Les gens se sont clairement emballés trop vite en prédisant un aussi grand assouplissement.
Ils se sont mis à avoir moins peur des actifs à risque, comme les capitaux d’emprunt. Les écarts de crédit ont permis d’enregistrer des rendements prodigieux. Ce message a aussi généré un grand engouement pour l’entrée de capitaux du point de vue de la position d’acheteur et a ainsi grandement avantagé les émetteurs. Ils pouvaient tirer parti de registres des ordres bien remplis, profiter pleinement de la demande, conserver un très bon effet de levier sur les prix et réaliser des transactions facilement.
Nous avons aussi vu le marché réduire lentement ses attentes au cours du premier semestre de 2024, surtout au mois de février lorsque la détente des cours du début de l’année a commencé à se dissiper, ce qui a déclenché un léger dégagement et a mené à une hausse des taux d’environ 4%. Les taux sont encore bien inférieurs à ceux connus en octobre, qui étaient proches des sommets atteints dans les neuf derniers mois.
Néanmoins, la hausse des taux n’a pas vraiment eu d’incidence sur la capacité des émetteurs à accéder au marché et n’a certainement pas empêché les investisseurs de s’intéresser aux nombreuses nouvelles émissions sur le marché de qualité investissement.
P. D. : Fadi, vous venez d’aborder, à mon avis, la plus grande évolution de la politique monétaire pendant le premier semestre de l’année. Les attentes extrêmement élevées de réduction des taux se sont peu à peu tempérées, puisque nous attendons toujours une première baisse de la Fed. Nous avons aussi commencé à observer ce phénomène au Canada. Quelle dynamique pensez-vous que cette situation a créée sur le marché pour les émetteurs, mais aussi pour les investisseurs?
F. A. : La confiance dans les réductions de la Fed a été considérablement ébranlée à partir de février 2024, ce qui a amené un certain nombre d’occasions pour les émetteurs, mais aussi pour les investisseurs. Je pense qu’une partie de ces occasions découle de la divergence au sujet de la politique de la Fed d’un pays à l’autre, comme vous l’avez dit.
Elle a notamment permis aux émetteurs d’accéder rapidement à différents marchés à travers le monde. Ils ont profité de ces occasions de financement pour figer des coupons plus petits que ceux qu’ils pouvaient obtenir sur les marchés américains ou pour obtenir un financement plus concurrentiel du point de vue des écarts lors de sa reconversion en dollars américains. Du côté des investisseurs, le portage offert sur les actifs en dollars américains sur le marché du crédit était incroyablement intéressant compte tenu des taux plus élevés sur les marchés américains que sur d’autres marchés développés. Ces avantages ont contribué au maintien de l’entrée de capitaux sur le marché par des investisseurs d’ici, qui constituent généralement la majeure partie des liquidités sur nos marchés, mais aussi par des investisseurs étrangers en quête d’occasions à saisir.
P. D. : C’est très intéressant. Ironiquement, le report des baisses de taux, même s’il n’a pas servi de catalyseur pour les comptes au pays, a créé un environnement d’investissement plus intéressant pour les investisseurs étrangers, qui ont pu profiter de rendements plus élevés pendant plus longtemps aux États-Unis.
F. A. : Absolument. Je pense que cette situation a permis une entrée massive de liquidités sur nos marchés, qui a mené à des resserrements pluriannuels des écarts étant donné la nature attrayante des rendements globaux que les investisseurs étaient en mesure d’obtenir en accédant à des actifs en dollars américains.
D’autre part, les écarts ont progressivement diminué tout le premier semestre. La dynamique de la demande était si forte qu’elle a alimenté ces resserrements pluriannuels et ces écarts.
P. D. : Très intéressant.
F. A. : Évidemment, cette dynamique continuera à évoluer et à teinter l’opinion des investisseurs.
Je pense que le discours entourant la divergence entre les politiques des banques centrales pour la réduction ou l’assouplissement des taux revêt aussi une grande importance. À mon avis, ce discours est très important. Par exemple, s’il attribue la divergence à un ralentissement significatif de certains indicateurs économiques dans un pays donné, il peut nuire à l’opinion générale des investisseurs, sous-entendant une possible faiblesse des capitaux d’emprunt qui pourrait être alarmante et, ainsi, exercer une plus grande pression sur les écarts.
Je crois aussi que la volatilité qui plane parfois sur le marché des taux entre en ligne de compte. Je fais ici allusion aux bons du Trésor américain. La volatilité mine toujours la confiance des investisseurs. Ce n’est pas tant le fait que le niveau absolu des taux soit plus élevé ou plus bas qui importe, mais plutôt la manière dont les taux baissent ou augmentent. Si la variation découle de la volatilité, je pense qu’elle peut faire perdre aux investisseurs leur intérêt pour le marché. Ils ont tendance à l’évaluer en imposant des primes d’émission plus élevées aux emprunteurs pour accéder au marché, parce qu’ils ne savent tout simplement pas à quoi s’attendre de la valorisation du risque de crédit sur le marché secondaire compte tenu de la volatilité macroéconomique.
Patrick, comment les investisseurs canadiens ont-ils réagi à l’offre record sur votre marché?
P. D. : La Banque du Canada a commencé à baisser son taux directeur, même si ça a été beaucoup plus tard que je ne l’aurais cru, de la même façon qu’aux États-Unis comme vous venez d’en parler. Je pense que nous avions anticipé que la trajectoire des taux et les réductions donneraient un souffle beaucoup plus prononcé aux mouvements de fonds et à la quantité d’argent que les investisseurs devaient investir au début de l’année que ce qui s’est finalement produit.
Ceci étant dit, même si elle a atteint un niveau record et a exercé une certaine pression sur le marché à divers moments, je crois que la grande émission qui a marqué le marché a finalement été très bien accueillie, en données constantes. Selon moi, certains faits indéniables concernant cette offre en témoignent.
Par exemple, à la mi-juin, nous avons vu les obligations de société les plus élevées jamais émises sur notre marché, à un prix de 7,15 milliards de dollars. Elles ont été divisées en 11 tranches et ont attiré plus d’une centaine d’investisseurs aux aguets. Je trouve que cette émission témoigne d’un marché très prospère, même si elle n’est qu’en aval des 85 milliards de dollars.
Je nous considère en bonne posture pour le second semestre de l’année. Je crois qu’il y a encore beaucoup à dire sur la trajectoire des taux et sur l’anticipation des prochaines baisses. Selon moi, certaines des répercussions secondaires auxquelles vous avez fait référence, à savoir les raisons pour lesquelles les banques centrales procèdent à des réductions et peut-être les conséquences sur l’emprunt, seront aussi déterminantes au second semestre.
Par contre, j’ai l’impression que nous en apprendrons plus à ce sujet dans les semaines et les mois à venir, au fur et à mesure que nous obtiendrons plus de données pour vraiment analyser le fondement de certains de ces mouvements.
Fadi, nous venons de résumer ce qui s’est déroulé au premier semestre, tant aux yeux des investisseurs qu’à ceux des émetteurs. Maintenant, quelles sont vos prévisions pour le second semestre de l’année en ce qui concerne les émissions sur le marché américain? Qu’est-ce qui, selon vous, va stimuler cette activité?
F. A. : Je crois qu’au second semestre, nous commencerons à observer un léger essoufflement de la vigueur connue pour l’émission au premier semestre.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, à la fin du premier semestre, l’offre avait atteint près de 900 milliards de dollars. Nous prévoyons générer 450 milliards de dollars de plus au second semestre, ce qui portera le total à 1,35 billion de dollars pour l’année, un chiffre légèrement supérieur aux prévisions de début d’année, qui étaient de 1,25 billion de dollars. Pourquoi pensons-nous que l’activité sera plus importante que dans nos prévisions de début d’année? À mon sens, plusieurs facteurs expliquent ce surplus. Tout d’abord, le secteur financier a été incroyablement dynamique toute l’année, beaucoup plus que l’an dernier à pareille date, pour la simple et bonne raison qu’il (surtout les banques) se remettait encore de la crise de la Silicon Valley. Les banques avaient réduit une grande partie de leur financement, compte tenu de la volatilité du marché.
À première vue, le secteur financier semble devancer nos prévisions. Toutefois, dans les faits, son rendement est normal par rapport aux données historiques. D’après moi, les resserrements pluriannuels dans les différents secteurs et les écarts de crédit actuels favoriseront une plus grande émission dans le secteur financier à l’approche du second semestre.
Cette hausse devrait s’appliquer à toute la structure du capital, qu’il s’agisse de financement de premier rang ou de financement de rang secondaire, un type de plus en plus courant. La concurrence s’intensifie pour les institutions financières qui veulent assainir leurs bilans et tourner cet environnement concurrentiel à leur avantage.
Les institutions financières ont tendance à évaluer la qualité du financement qui leur est destiné sur le marché en fonction des écarts créditeurs. Il s’agit donc d’une occasion alléchante pour eux. Je pense que certains segments du secteur des grandes sociétés deviendront de plus en plus actifs au fil du second semestre.
Les fusions et acquisitions sont un thème majeur aux États-Unis, et nous en attendons de plus en plus dans différents secteurs d’activité. À mon avis, les fusions et acquisitions seront en grande partie financées sur les marchés des capitaux d’emprunt, étant donné la nature concurrentielle de l’accès à un montant important de liquidités sur les marchés des capitaux d’emprunt.
Cette situation devrait donc stimuler l’offre dans le secteur des grandes sociétés. Nous prévoyons aussi une augmentation des dépenses en immobilisations, dont une grande partie sera financée sur le marché des titres à revenu fixe, surtout dans le secteur de l’énergie et des services publics ainsi que dans certains segments du secteur industriel. Cette situation s’explique par la nécessité pour beaucoup de ces sociétés d’augmenter leur capacité de production, puis de s’adapter et de répondre aux attentes qui découlent du besoin en nouveaux centres de données en raison du virage électrique, mais aussi de la recrudescence de l’intérêt pour l’intelligence artificielle (IA) et d’autres aspects de l’économie. Ces segments des secteurs industriel, de l’énergie et des services publics auront donc fort probablement besoin de financement supplémentaire et devront renouveler certaines valeurs mobilières venant à échéance.
Je pense que certains segments du secteur des grandes sociétés ne se démarqueront pas beaucoup au second semestre, notamment le commerce de détail ou les technologies, les médias et les télécommunications (TMT). Ils risquent de s’essouffler un peu au début du second semestre tout simplement parce que le coût de financement, comme le montrent les coupons, demeure historiquement élevé, et que beaucoup de ces sociétés nagent dans l’argent et n’ont pas nécessairement besoin de se procurer de coupons pour l’instant.
Une baisse des taux et du coût total du financement pourrait encourager certaines de ces sociétés à faire leur entrée sur le marché. Toutefois, si nous partons du principe que le contexte actuel va continuer à se faire sentir sur les coûts à cause des taux, je pense qu’il faut s’attendre à des secteurs des TMT et du commerce de détail moins dynamiques au second semestre.
Patrick, qu’entrevoyez-vous pour le Canada?
P. D. : Comme vous, aux États-Unis, nous avons revu nos prévisions à la hausse, Fadi, et nous nous attendons à atteindre 130 milliards de dollars, soit 15 milliards de dollars de plus que nos prévisions de début d’année. Ironiquement, il ne manque que 45 milliards de dollars au second semestre pour l’atteindre, soit un dixième de vos prévisions pour les marchés américains, ce qui, selon moi, illustre bien la différente envergure de nos deux marchés.
Permettez-moi de faire quelques spéculations sur la provenance de l’offre : d’après moi, le secteur financier demeurera dynamique sur notre marché. Les banques canadiennes ont été un peu moins actives que par le passé, mais je pense qu’elles devraient se dégourdir un peu au second semestre.
Du côté des sociétés, j’ai confiance qu’il y aura encore des besoins vu les valeurs mobilières venant à échéance. En ce qui concerne les dépenses en immobilisations, je crois que nous retrouverons une dynamique semblable à la vôtre. Nous devrions voir des sociétés actives dans les secteurs intermédiaire, de l’énergie, des gazoducs, ainsi que de l’électricité et des services publics.
Quant à la question de savoir si les facteurs à l’origine de la grande offre pendant la première moitié de l’année se maintiendront au second semestre, je pense que les occasions offertes par les taux d’intérêt sur les dépôts dont j’ai parlé plus tôt et l’évolution de la situation, qui permettra ou non aux sociétés de profiter de cette dynamique, suscitent encore de sérieuses interrogations.
À mon avis, les titres continueront d’être émis dans l’optique d’éviter les contrecoups des élections américaines. Elles influenceront donc le moment auquel les émetteurs feront leur entrée sur le marché.
F. A. : Patrick, quelles occasions à saisir entrevoyez-vous au second semestre? Quelles stratégies recommanderiez-vous aux emprunteurs?
P. D. : Je ne vais pas m’avancer sur les élections américaines, Fadi, avec un spécialiste comme vous dans la salle, mais je pense qu’elles vont évidemment avoir une incidence sur les marchés partout dans le monde. D’abord et avant tout, selon moi, l’offre nette attendue à la seconde moitié de l’année s’annonce très positive pour les écarts créditeurs.
Il y aura environ 65 milliards de dollars en remboursement, sous la forme de coupons et de valeurs mobilières venant à échéance, remis entre les mains des investisseurs, et environ 45 milliards de dollars de nouvelles émissions attendues au second semestre. La situation s’annonce donc favorable pour les écarts de crédit. Je doute que le second semestre demeure un long fleuve tranquille sur le plan macroéconomique. À mon avis, les emprunteurs devront continuer à se montrer agiles, à se tenir à l’affût des occasions et à chercher les possibilités de verrouiller des taux sous-jacents intéressants.
Le marché des taux sous-jacents du gouvernement du Canada continue d’être très volatile, comme nous l’avons constaté. Donc, les emprunteurs qui réussiront à verrouiller ou à accélérer le financement pourront en profiter pour créer un coupon plus convaincant. Évidemment, ils devraient sauter sur cette occasion.
Finalement, comme vous l’avez dit, les emprunteurs du Canada peuvent profiter de la demande étrangère sur le marché américain. Les sociétés étrangères auront certainement l’occasion d’envisager le marché canadien compte tenu de la divergence des taux d’intérêt entre les États-Unis et le Canada, puisque les taux sont plus bas au Canada. Je pense donc que les emprunteurs devront absolument faire preuve de souplesse en ce qui concerne les devises de leur émission pendant le second semestre.
Par conséquent, Fadi, compte tenu du contexte actuel, des élections américaines et du risque de volatilité, que suggérez-vous aux emprunteurs à qui vous parlez pour les aider à se positionner sur le marché pendant le reste l’année?
F. A. : Patrick, je crois que la majorité des gens s’entendent pour dire que les dépenses publiques continueront d’être élevées, peu importe l’issue des élections américaines en novembre. Je pense que les répercussions seront plus importantes si le parti au pouvoir contrôle à la fois la Maison-Blanche et le Congrès. La majorité risquerait d’accroître la pression exercée sur la hausse des taux, parce que le parti au pouvoir serait en mesure d’adopter plus de politiques susceptibles d’avoir une incidence sur les taux.
Comment les emprunteurs peuvent-ils s’adapter? Je leur recommanderai clairement de ne pas attendre les élections pour combler leurs besoins en financement pour le reste de l’année, voire pour 2025. D’après nous, le ralentissement de l’émission attendu au second semestre par rapport au premier sera bénéfique pour les écarts de crédit.
Les emprunteurs pourraient donc y voir une occasion intéressante d’obtenir du financement avant la possible volatilité des taux et de la macroéconomie causée par les élections. Différentes options s’offrent à eux, notamment le rajustement des obligations récemment émises ou l’accès au marché des titres à taux variable, qui s’est révélé plus accessible pour les émetteurs qui n’avaient pas pu y accéder en raison de leur taille depuis le début de l’année.
Nous croyons également que la capitalisation anticipée pour l’émission de valeurs mobilières venant à échéance en 2025 sera moins pénalisante. L’inversion de la courbe et la possibilité pour les émetteurs d’emprunter aujourd’hui et de placer le produit de leurs emprunts dans des bons du Trésor ou des dépôts ont tout bonnement pour effet de réduire le portage négatif. Parfois, le portage est même positif pour certaines grandes sociétés.
Enfin, je voudrais aussi souligner l’occasion que représente le segment de second rang qu’est le financement subordonné. Il pourrait être un moyen efficace et accessible pour les sociétés et le secteur financier. Dans le contexte actuel, les investisseurs sont très à l’aise de prendre des risques, ce qui offre aux emprunteurs une façon très concurrentielle d’accéder au marché du financement subordonné. Les sociétés pourraient donc lever des fonds propres à un taux beaucoup plus alléchant que sur d’autres marchés.
P. D. : En bref, cher auditoire, il y a plusieurs facteurs à ne pas négliger et beaucoup de points à prendre en considération pendant la deuxième moitié de l’année. Fadi, vos perspectives sur le marché américain sont toujours les bienvenues. Nos échanges sont toujours très instructifs. Nous avons hâte de vous recevoir pour un autre épisode.
F. A. : Beaucoup d’occasions mais aussi de défis nous attendent, Patrick. C’est toujours un plaisir pour moi. J’ai déjà hâte au prochain épisode.
Présentatrice : Merci d’avoir écouté le balado Le point sur les marchés de la Banque Scotia. N’oubliez pas de suivre l’émission sur votre plateforme de balado préférée. Vous pouvez aussi consulter notre site Web (https://www.gbm.scotiabank.com/fr.html) pour d’autres émissions riches en réflexions.