Présentatrice : Vous écoutez le balado Le point sur les marchés de la Banque Scotia. La série de balados Le point sur les marchés fait partie de la série Capital de connaissances. Elle vise à vous présenter les perspectives des leaders et experts des Services bancaires et marchés mondiaux de la Banque Scotia.
Rodrigo Echagaray : Bienvenue à cet épisode du balado Le point sur les marchés. Ici Rodrigo Echagaray, directeur général et chef, Recherche sur le marché des actions – Amérique latine et chef, Gestion de produits mondiale. Dans cet épisode, je reçois Andres Coello et Francisco Suarez, deux collègues de Mexico. Nous discuterons de l’effervescence du secteur des services de fabrication électronique dans la ville de Guadalajara et l’État du Jalisco, au Mexique, ainsi que de son lien avec la délocalisation à proximité.
Bonjour, Andres. Comment allez-vous?
Andres Coello : Je vais bien, merci.
RE : Francisco, quel plaisir de vous recevoir à nouveau! Comment allez-vous?
Francisco Suarez : Bien. Je suis ravi de revenir parler de délocalisation à proximité.
RE : Notre dernier épisode à ce sujet portait sur les investissements croissants de la Chine au Mexique et leur risque pour la délocalisation à proximité. Aujourd’hui, nous parlerons de l’incidence de l’essor du secteur des services de fabrication électronique à Guadalajara, mais aussi dans l’État du Jalisco, et de son important rôle dans l’évolution de la délocalisation à proximité au Mexique.
Francisco, à votre avis, pourquoi le secteur des services de fabrication électronique est-il l’avenir de la délocalisation à proximité au Mexique? Quels facteurs à l’échelle mondiale expliquent cette tendance? Par ailleurs, pensez-vous que la délocalisation à proximité sera une priorité aux yeux de la nouvelle présidente?
FS : Merci, Rodrigo. Permettez-moi d’abord d’expliquer le lien entre les services de fabrication électronique et la chaîne de valeur complexe des semi-conducteurs.
Dit simplement, le secteur des services de fabrication électronique et l’occasion qui se dessine à nos portes sont comme le pont qui relie la chaîne de valeur complexe des semi-conducteurs à la clientèle finale d’un iPhone, d’un avion, de l’intelligence artificielle ou de toute autre technologie infonuagique. Les services de fabrication électronique ont un rôle de liaison.
De nombreux fabricants d’équipement font appel à des entreprises du secteur des services de fabrication électronique pour réduire leurs coûts sans compromis sur la fluidité de la logistique et de l’approvisionnement. Ils s’associent parfois même à elles de la conception des produits finaux jusqu’à la livraison des produits à la clientèle.
Il y a clairement un lien étroit entre, d’une part, la clientèle finale ou les fabricants d’équipement et, d’autre part, le besoin grandissant pour des centres de données et d’autres types de technologies qui s’explique par le virage numérique mondial.
Seuls 12 % des semi-conducteurs demandés en Amérique du Nord sont fabriqués sur ce continent. Fait encore plus terrifiant, aucun des semi-conducteurs les plus sophistiqués n’est fabriqué en Amérique du Nord.
Ils sont tous fabriqués en Asie du Sud-Est, soit près de 60 % à Taïwan par une société appelée «TSMC» et les 40 % restants par Samsung en Corée du Sud. Cette réalité nous expose à des risques pour la sécurité. L’instabilité géopolitique dans la région pourrait troubler plusieurs chaînes de valeur.
La Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors and Science Act (loi CHIPS), d’une valeur d’environ 280 G$, a été adoptée en vue de réduire la vulnérabilité à laquelle le contexte géopolitique expose l’Amérique du Nord.
RE : Comme vous êtes tous deux basés au Mexique, avez-vous commencé à entendre parler d’investissements dans les semi-conducteurs sur le continent et à constater des retombées indirectes sur le secteur des services de fabrication électronique à Guadalajara?
FS : Absolument, Rodrigo. Par exemple, Foxconn, une entreprise basée à Taïwan, est un très grand acteur du secteur des services de fabrication électronique. Foxconn cherche activement à ouvrir une nouvelle usine au Mexique, idéalement à Guadalajara, précisément dans l’optique d’atténuer les risques liés à la fabrication en Chine. Donc, oui, nous avons vu des investissements massifs d’entreprises taïwanaises au Mexique, dont Foxconn, mais il y a aussi Quanta. Pour vous donner une idée du rôle vital de Foxconn, il n’y aurait pas d’iPhone sans Foxconn.
RE : Serait-il juste de dire que ces transformations géopolitiques et l’atténuation des risques sont un plus grand catalyseur que les récentes élections mexicaines, qui ont donné lieu à un dégagement dans certaines catégories d’actifs au Mexique et ont affaibli le taux de change? D’après ce que vous me dites, leur incidence est beaucoup plus grande.
FS : Assurément. Je pense que la nouvelle présidente, Claudia Sheinbaum, est consciente de l’importance de la délocalisation à proximité. Il est intéressant de voir qu’il s’agit d’une véritable priorité à ses yeux. Elle reconnaît l’importance de la délocalisation à proximité et, par conséquent, des risques géopolitiques que vous évoquez.
RE : Parlons maintenant un peu de Guadalajara. Pourriez-vous expliquer à notre auditoire pourquoi Guadalajara attire autant d’investissements? En quoi sa croissance est-elle différente de celle que la délocalisation à proximité suscite dans d’autres régions du Mexique, comme Monterrey?
FS : Absolument, Rodrigo. Guadalajara se trouve dans l’ouest du pays. Nous commençons à déceler certaines différences par rapport à Monterrey, qui a réussi à attirer de nombreuses entreprises investisseuses souhaitant délocaliser à proximité certaines activités. Par contre, dans le cas de Monterrey, la couverture du marché final est beaucoup plus axée sur l’industrie automobile, alors que, dans le cas de Guadalajara, elle est essentiellement axée sur l’électronique. Les pionniers des services de la fabrication électronique ont commencé à investir au Mexique dans les années 1960. Nous pouvons donc constater que la formation de grappes industrielles ne date pas d’hier. Elle a simplement évolué depuis et est maintenant axée sur l’électronique en général.
Beaucoup d’entreprises exercent malgré tout dans d’autres secteurs, comme Benchmark, qui se spécialise davantage dans les dispositifs médicaux. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, Foxconn a investi beaucoup plus activement à Guadalajara. Il y a bien évidemment aussi des entreprises présentes depuis longtemps au Mexique, surtout à Guadalajara, comme Flex.
En gros, ce sont les possibilités qui se présentent. Beaucoup d’importations en provenance de Chine ou d’autres pays d’Asie affluent vers l’État du Jalisco, dont fait partie la ville de Guadalajara. Cette profusion permet l’exportation d’appareils électroniques beaucoup plus sophistiqués dans l’État du Jalisco que dans la ville de Monterrey, qui se spécialise beaucoup plus dans l’industrie automobile.
RE : Y a-t-il des mesures incitatives ou des initiatives mises en place dans l’État du Jalisco ou la ville de Guadalajara qui attirent ou contribuent à attirer certains de ces investissements directs étrangers?
FS : Bien sûr, Rodrigo. La Jalisco Tech Hub Act vise à garantir que l’État offre tout ce dont ont besoin les entreprises de services de fabrication électronique, mais aussi celles du secteur des semi-conducteurs.
La collaboration entre le milieu universitaire, les États, les administrations locales et le secteur privé prend une importante place qui continue de croître. Cette relation symbiotique très fructueuse a débuté il y a plusieurs dizaines d’années.
Donc, oui, l’État du Jalisco a dû débloquer des fonds spéciaux pour tenter de combler les besoins en enseignement découlant de ces nouvelles chaînes de valeur émergentes. Il a aussi dû prévoir du financement pour aider les entreprises à acquérir des terrains desservis par l’électricité afin d’augmenter la capacité de production dans l’État, par exemple. Bien sûr, le secteur privé continue d’énoncer ses besoins de son côté. En effet, les acteurs comme IBM, un locataire clé très important pour de nombreux acteurs du secteur immobilier dans l’État du Jalisco, prennent soin d’énoncer clairement au milieu universitaire et aux autorités locales leurs besoins croissants en main-d’œuvre professionnelle et qualifiée en recherche et en développement et en services infonuagiques. Aujourd’hui, IBM investit dans ces domaines beaucoup plus qu’auparavant.
RE : Vous l’avez abordé brièvement, mais j’aimerais savoir si la présidente nouvellement élue compte entreprendre des initiatives semblables à celles que vous venez de mentionner pour l’État du Jalisco afin d’attirer davantage d’investissements directs étrangers dans tout le pays.
FS : La nouvelle présidente, Claudia Sheinbaum, souhaite augmenter de 25 % le nombre de parcs industriels au Mexique d’ici six ans. Cet objectif ambitieux témoigne de l’importance qu’elle accordera à l’industrie et à la délocalisation à proximité dans tous ses programmes. Dans l’État du Jalisco, les initiatives sont davantage axées sur l’industrie 4.0. Autrement dit, elles visent à s’assurer que nous sommes capables d’offrir à l’Amérique du Nord les chaînes de valeur en croissance de nouvelle génération dont elle a besoin. Il s’agit d’un objectif qu’elle a déjà mentionné publiquement.
RE : Andres, vous avez aussi parlé de l’éducation. Toute la croissance des entreprises internationales qui souhaitent délocaliser la fabrication au Mexique passe par l’accès à une main-d’œuvre qualifiée et compétente. Compte tenu de votre expérience dans le domaine de l’éducation en Amérique latine, pensez-vous que toutes les conditions sont réunies pour que ces entreprises internationales s’installent à Guadalajara?
AC : L’une des premières questions que se posent les investisseurs qui envisagent la délocalisation à proximité au Mexique est de savoir si nous disposons de suffisamment de ressources humaines et sommes capables de les former.
Selon nos recherches, le Mexique est prêt pour saisir l’occasion que présente la délocalisation à proximité. Nous avons de grands établissements d’enseignement qui n’attendent que ça.
Avant toute chose, permettez-moi de dresser le portrait de la situation du domaine de l’éducation en général. Rappelez-vous : pendant la pandémie de COVID-19, les établissements d’enseignement ont été forcés de fermer leurs portes et ont dû faire appel à la technologie pour se réinventer complètement. En gros, les établissements d’enseignement ont investi des sommes importantes pour pouvoir continuer leurs activités en ligne. Pour vous donner un exemple, aujourd’hui, dans les établissements Laureate, les cours sont donnés environ à 60 % sur le campus et à 40 % en ligne. Cette percée technologique a permis aux établissements d’enseignement de créer de nouveaux cours et aux élèves de choisir s’ils veulent s’instruire en personne ou en ligne.
À mon avis, le point le plus important à retenir de la révolution des dernières années dans le domaine de l’éducation est que, tout d’un coup, les établissements d’enseignement se sont retrouvés avec un plus grand nombre de places disponibles. Dans les salles de classe qui étaient utilisées au maximum de leur capacité, 40 % des places assises se sont libérées en raison de la proportion d’élèves qui optent pour la formule en ligne.
Dans les dernières années, de 2022 à 2024, je dirais que très peu de nouveaux campus ont vu le jour. Par contre, pendant cette période, nous avons vu les établissements d’enseignement combler leurs places. Nous nous attendons donc à la construction de nouveaux campus pour ces établissements d’enseignement au Mexique. Ils s’annoncent différents des anciens campus. En fait, d’après ce que j’ai entendu, les nouveaux campus prendront probablement davantage la forme d’écoles techniques pour l’acquisition de compétences spécialisées plutôt que de campus traditionnels. Nous sommes convaincus que nous assisterons à l’ouverture de nouveaux campus dans les années à venir.
En effet, sachez que le Jalisco se classe au troisième rang des États dans lequel il y a le plus d’inscriptions aux programmes de premier cycle au Mexique. Il compte 6,5 % de l’effectif étudiant total. Étonnamment, ce chiffre est supérieur à celui de l’État du Nuevo León, soit 6 %. Ainsi, l’État du Jalisco a une plus grande population universitaire que le Nuevo León, ce qui est remarquable. En termes d’inscriptions, l’État du Jalisco n’est devancé que par la ville de Mexico et l’État de Mexico. Cette statistique vous donne une idée du capital humain à disposition dans cette région.
Par contre, l’une des principales constatations de notre rapport sur la délocalisation à proximité est que les emplois dans le secteur des semi-conducteurs ne requièrent pas nécessairement tous un diplôme de premier cycle universitaire. Selon les établissements d’enseignement et le gouvernement, il faut vraiment miser sur les écoles techniques.
Il faut savoir que le Jalisco est très bien desservi par Laureate, la plus grande chaîne d’universités d’Amérique latine. Elle compte près d’un demi-million d’élèves dans ses campus du Mexique et du Pérou. Ses universités se hissent au classement des dix établissements d’enseignement les plus prisés au pays. Elles visent donc le créneau haut de gamme du marché. Dans l’État du Jalisco, elles comptent plus précisément 13 000 élèves et proposent plus de 100 programmes de premier cycle, majoritairement dans des domaines recherchés pour la délocalisation à proximité.
RE : Francisco, y a-t-il d’autres secteurs ou entreprises qui, selon vous, pourraient bénéficier de cette croissance particulière à Guadalajara?
FS : Le marché immobilier profite d’un essor des locaux à bureaux. Contrairement à ailleurs, le taux d’inoccupation des bureaux à Guadalajara est très faible. Ce boom est attribuable à la délocalisation des chaînes de valeur, qui crée des besoins en bureaux. Pour vous donner une idée, environ le tiers des nouveaux bâtiments au Mexique est construit à Guadalajara.
Par contre, beaucoup d’autres secteurs importants en bénéficient aussi. Prenons l’exemple de GAP, un exploitant d’aéroport mexicain. Son siège social est situé dans la ville de Guadalajara et son réseau couvre le côté pacifique et l’ouest du Mexique. Dans la ville de Guadalajara, les marchandises expédiées ont une grande valeur, contrairement à la faible valeur de celles expédiées depuis la ville de Mexico.
Par conséquent, même si le nombre de tonnes transportées est plus élevé à Mexico qu’à Guadalajara, la valeur des marchandises est en réalité bien plus élevée à Guadalajara. C’est dans cette ville qu’elle est la plus élevée au pays. Pourquoi? Car il s’agit d’appareils et de composants électroniques, de produits à valeur ajoutée, qui doivent être expédiés par avion.
Bien sûr, le marché du transport aérien entre les États-Unis, le Canada et le Mexique s’est envolé en raison de ces chaînes de valeur à croissance rapide. Je dirais donc que GAP est l’une des entreprises qui ont su aller chercher leur part du gâteau.
RE : Merci de vos réponses, Francisco. Andres, qu’en est-il dans le secteur des télécommunications?
AC : La connectivité sera un enjeu très important pour les occasions de délocalisation à proximité au Mexique. Je pense surtout à deux points. Tout d’abord, le nouveau gouvernement compte augmenter le nombre de petites villes couvertes par le réseau sans fil, passant de 3 000 à 60 000 villes.
Le gouvernement entend ainsi donner un coup pour augmenter le taux de pénétration des services sans fil sur l’ensemble du territoire, ce qui sera évidemment bénéfique pour la délocalisation à proximité. Ensuite, nous observons aussi une croissance impressionnante des services à large bande partout au Mexique.
Le pays affiche aujourd’hui le taux de pénétration des services à large bande le plus élevé d’Amérique latine. Ils sont présents dans 80 % des foyers. C’est très impressionnant. Des entreprises comme Megacable développent l’infrastructure de fibre optique dans l’État du Jalisco. Megacable a aussi récemment construit un énorme centre de données près de Guadalajara. D’autres entreprises, comme Totalplay et même Telmex, construisent actuellement des réseaux de fibre optique dans l’État du Jalisco.
Alors, du point de vue de la connectivité et des télécommunications, nous pensons que l’État du Jalisco sera en mesure de saisir l’occasion qu’apporte la délocalisation à proximité.
RE : Merci de votre réponse, Andres. Il est clair que le Jalisco et Guadalajara sont des terreaux fertiles pour les secteurs mondiaux des semi-conducteurs et des services de fabrication électronique. Les entreprises pourront s’y enraciner et continuer à prendre de l’expansion au fil de la tendance mondiale plus généralisée à atténuer les risques et à sécuriser les chaînes de valeur. C’est fascinant.
Francisco, avez-vous d’autres réflexions à nous partager?
FS : Oui, parlons des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). La sécurité des chaînes de valeur est un enjeu important de la délocalisation à proximité. Il ne faut pas négliger les différences entre la Chine et le Mexique.
Le travail forcé n’est pas un enjeu au Mexique contrairement à ce que l’on voit en Chine, par exemple. Par contre, le Mexique a beaucoup plus de chemin à parcourir en ce qui concerne les investissements dans l’énergie propre. Tout le cadre juridique qui s’applique au Mexique est beaucoup plus près de celui du Canada et des États-Unis que le cadre de la Chine.
C’est important, car les investisseurs s’inquiètent de leur exposition à ces enjeux d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur. Ils sont moins tolérants à l’égard des entreprises qui ne prennent pas de mesure pour éviter de s’exposer au travail forcé, par exemple, ou diminuer les émissions de CO2 générées par la chaîne logistique.
RE : Très intéressant, Francisco. En fin de compte, il y a du pour et du contre dans tout. Si le Mexique est mieux positionné, même en marge, il continuera de susciter un aussi grand attrait, surtout si la nouvelle présidente arrive à lever certains des obstacles dont vous avez parlé.
Merci à vous deux, Andres et Francisco, pour cet entretien très instructif aujourd’hui. J’ai déjà hâte de vous recevoir à nouveau.
AC : Merci, Rodrigo.
FS : Merci, Rodrigo.
Présentatrice : Merci d’avoir écouté le balado Le point sur les marchés de la Banque Scotia. N’oubliez pas de suivre l’émission sur votre plateforme de balado préférée. Vous pouvez aussi consulter notre site Web (https://www.gbm.scotiabank.com/fr.html) pour d’autres émissions riches en réflexions.